Travailler en 2049 : que veulent les jeunes ?

A la Défense, le quartier d’affaires de l’ouest parisien, en novembre 2020.

A la Défense, le quartier d’affaires de l’ouest parisien, en novembre 2020. ALAIN JOCARD / AFP

Décryptage  Ils seraient aussi idéalistes que matérialistes, en quête de sens et d’équilibre personnel, autocentrés mais solidaires : que veulent vraiment les jeunes de 20, 25 ou 30 ans ?, s’interrogent des employeurs qui peinent à comprendre leur rapport au travail et à l’entreprise.

Frédéric n’en revient toujours pas. Il pensait avoir tout mis en œuvre pour attirer et fidéliser les jeunes talents dont il a besoin pour développer son entreprise de communication numérique : salaire, formation, tutorat, évolution rapide de carrière… Coup sur coup, trois d’entre eux sont partis à peine dix-huit mois après avoir été recrutés. Un UX designer (spécialiste de l’expérience utilisateur) de 27 ans a été débauché par l’un de ses clients. « C’est classique dans le milieu », commente Frédéric qui, après vingt ans de carrière dans la communication, admet qu’une grande entreprise lui offrira de meilleures perspectives professionnelles et salariales.

Prendre le large

Les deux autres, en revanche, ont tout simplement décidé de prendre le large. A 29 ans, une community manager (chargée de gérer la communication sur les réseaux sociaux) a plaqué son boulot, sa colocation, son compagnon et même son chat pour courir l’aventure en Amérique du Sud. « A son âge, je m’installais avec ma femme en vue d’avoir notre premier enfant, se souvient Frédéric. Elle m’a simplement dit qu’après le confinement, elle avait besoin de prendre l’air. »

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Le troisième, un peu plus jeune (24 ans), avait le sentiment de s’égarer dans son métier de traffic manager (chargé de donner de la visibilité aux bannières et bandeaux publicitaires). « Elevé par une mère qui a connu le chômage et les difficultés financières, il a joué la sécurité en suivant une formation courte, en alternance, vers un métier très recherché », explique Frédéric. Mais il rêvait de philosophie. Il a donc décidé de reprendre les études. « L’un comme l’autre ont tout de même pris soin de négocier la rupture de leur contrat de travail pour bénéficier des indemnités de chômage », poursuit Frédéric, en ironisant sur leur vision « très terre à terre de l’aventure et de la quête de sens ».

Donnant-donnant

Frédéric est loin d’être un cas isolé : rarement les managers et les dirigeants d’entreprise ont été aussi déstabilisés par l’attitude de leurs plus jeunes collaborateurs, disons schématiquement les moins de 30 ans. « Les jeunes cadres n’ont clairement plus le même sens de la loyauté, observe Pierre Lamblin, directeur des données et des études de l’Association pour l’Emploi des Cadres (Apec). Ils sont dans un rapport donnant-donnant : ils veulent bien donner à l’entreprise, mais seulement à hauteur de ce qu’ils obtiennent en retour en termes de responsabilités, d’autonomie, de rémunération, d’épanouissement… Ils veulent aussi un métier qui a du sens et sont très attentifs à l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. »

Au point de refuser les contraintes de la vie en entreprise ? Clara Morel (31 ans) et son frère Valentin (28 ans) lui préfèrent les liens informels d’un collectif d’indépendants. « Chacun apporte sa pierre à l’édifice, sans aucune relation hiérarchique », se félicitent-ils en détaillant le fonctionnement de Locomotiv’, le collectif de 64 indépendants qu’ils ont créé à Bordeaux (regroupant des activités autour du conseil, du marketing, de la communication). « Je ne dirais pas que le salariat est mort, ajoute Clara. Mais tel qu’il est conçu aujourd’hui, avec des horaires et un management trop directifs, il ne convient pas à notre génération. »

Clivage plus social que générationnel

D’aucuns y voient une forme de désengagement. « Toutes les études montrent au contraire que les Français restent très attachés à leur travail, martèle Elisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion. La France se distingue en cela de la plupart des pays développés. » Et ce toutes générations confondues : en deux ans, le questionnaire Workoscope élaboré par le cabinet somanyWays pour « identifier la place et le sens que chacun souhaite donner à son travail » a recueilli 15 000 réponses. Résultat : « Quel que soit leur âge, les Français ont les mêmes aspirations », commente Anaïs Georgelin, fondatrice de ce cabinet de conseil. Quand on les interroge sur leurs « indispensables au travail », ils évoquent avant tout la qualité de l’ambiance (62 %), la possibilité d’apprendre et de développer de nouvelles compétences (60 %) et de proposer de nouvelles idées (51 %).

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A contrario, ils rejettent les activités qui manquent d’éthique (51 %), les grandes entreprises (57 %) et le mauvais management, celui qui dit « comment faire plutôt que pourquoi » (45 %). ajoute Anaïs Georgelin, qui observe que « les principaux clivages mis en lumière par cette étude ne sont pas générationnels mais socio-éducatifs ». L’aspiration à un CDI, par exemple, n’est pas liée à l’âge mais au niveau de diplôme et d’employabilité : plus il est bas, plus le salarié recherche la sécurité. En revanche, la quête de sens, le besoin de « contribuer par son travail à résoudre des enjeux de société » sont bien plus attendus par les salariés bac +5 (50 %) que par les salariés bac +2 (34 %).

Ce ne sont pas les jeunes qui changent mais le monde !

Un seul item marque un véritable clivage générationnel, « mais pas dans le sens que l’on peut imaginer », sourit Anaïs Georgelin : 57 % des seniors (45 à 62 ans) aspirent à davantage de flexibilité, contre seulement 36 % des moins de 27 ans. A ses yeux, le discours sur les jeunes, leur rapport au travail et leur quête de sens charrie bien des préjugés. « En réalité, ce ne sont pas les jeunes qui changent, c’est le monde ! L’urgence climatique, la crise sanitaire, la guerre en Europe remettent toutes nos certitudes et nos croyances en question. Les entreprises devraient, elles aussi, se remettre en question avant d’incriminer le rapport au travail des jeunes. »

Anaïs Georgelin admet toutefois que « la vision de la réussite a changé : elle peut être ascensionnelle, comme par le passé. Mais elle peut être plus introspective : les jeunes ont envie de s’épanouir dans et hors de leur travail. Elle peut aussi être transformationnelle, avec l’envie de changer le monde, d’être utile. » Les trois jeunes démissionnaires de l’agence de Frédéric en sont les parfaits exemples : la carrière pour l’un, l’aventure pour l’autre, la philosophie pour le troisième…

La triple performance, levier de fidélisation des salariés

Avant les questions de salaire ou de poste de travail, les talents attendent des entreprises qu’elles prennent position et agissent avec sincérité et transparence. « Les préoccupations environnementales et sociétales des citoyens ne se limitent pas à la sphère privée. La quête de sens anime désormais un grand nombre de salariés. C’est même l’une des priorités majeures pour les jeunes générations dans leur recherche d’emploi », affirme Caroline Lebrun, directrice Engagement & Coopération chez Harmonie Mutuelle. Cette tendance de fond, accélérée par la pandémie, a donc conduit « les entreprises à revoir leur proposition de valeur pour attirer et fidéliser les salariés ». Harmonie Mutuelle est ainsi devenue une entreprise mutualiste à mission avec une raison d’être qui se traduit en actes. « Pour répondre aux attentes de nos équipes, salariés et managers, nous avons construit avec elles le programme INSPIRE permettant de faire évoluer la culture de travail autour de trois principes : l’autonomie, l’attention et la proximité. » Au-delà de la performance économique, l’entreprise doit pouvoir donner les moyens individuels et collectifs de préserver l’environnement et la performance humaine, richesse la plus précieuse.

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